« Il n'y a pas de différence entre un nazi, un Bosno-serbe, un Hutu, un mec de Daesh ».

LA TRAQUE DES GÉNOCIDAIRES par Éric Emeraux

La Lettre des Témoins
4 min ⋅ 18/04/2024

Génocide des Ouïghours, des Yézidis, des Rohingyas en Birmanie : le XXIème siècle sera-t-il aussi génocidaire que le XXème siècle, marqué par la Solution finale ? Éric Emeraux est gendarme. Pendant 3 ans, il a traqué les auteurs de crimes de guerre et de génocides en cavale, parfois même réfugiés sur le sol français, à la tête de l’Office Central pour les Crimes contre l’Humanité et les crimes de haine (OCLCH). Rwanda, Libéria, Syrie, Bosnie, il a enquêté sur les pires atrocités du genre humain, et a contribué à l’arrestation de criminels de guerre, jugés devant les tribunaux français internationaux, dont Félicien Kabuga en 2020 après 15 ans de cavale, à l’époque l’homme le plus recherché après Ben Laden. Il veut témoigner de son expérience et surtout prévenir que nous vivons dans une société polarisée, qui n’est pas à l’abri de l’engrenage génocidaire.

QUI EST ÉRIC EMERAUX ?QUI EST ÉRIC EMERAUX ?

Animé très tôt par un désir d’indépendance, Éric Emeraux intègre à 14 ans, l’Académie militaire de Saint-Cyr Coëtquidan. Originaire des Vosges, il s’engage en 1982, dans l’Armée de terre, chez les chasseurs alpins.

En 1990, il devient commandant d’une section de renseignement en haute montagne, avant de rejoindre en 2004, la police judiciaire. 

En Bosnie-Herzégovine, en tant qu’attaché de sécurité intérieure à l’ambassade de France à Sarajevo, il réalise ses premières auditions de victimes de nettoyage ethnique, 10 ans après le génocide. Il se demande alors, quel cheminement mène à devenir un « tueur ordinaire ».

Il est nommé en 2017, à la tête de l’Office Centrale de la Lutte contre les Crimes contre l’Humanité, crimes de guerre et génocides, créée en 2013. 

Libéria, Rwanda, Syrie, Bosnie... son métier est de traquer les génocidaires réfugiés sur le sol français.

En 2020, il arrête Félicien Kabuga, financier du génocide des Tutsis au Rwanda :

Le mec le plus recherché après Ben Laden depuis 25 ans.

GÉNOCIDEGÉNOCIDE

“Génocides”, “massacres de masse”, et “nettoyages ethniques”, le XXème siècle a vu naître une nouvelle sémantique, en réponse à la Shoah. Des concepts à la lumière desquels on ne peut juger le passé, mais interroger le présent :

Le XXIème siècle sera-t-il plus génocidaire que le XXème ? 

Dès 1904, en Namibie, l’État colonial du deuxième Reich érige des camps d’extermination, pour y massacrer deux peuples insurgés : les Héréros et les Namas. 

Un génocide qui ne porte pas encore son nom, mais qui servira de galop d’essai à la Solution finale. 

De 1915 à 1923 , le parti “des jeunes turcs” déporte et massacre plus d’un million et demi d'Arméniens, pour désertion ou résistance.

Point d’orgue d’un siècle génocidaire. En 1941, le troisième Reich instaure la Solution finale, qui signe l’arrêt de mort de 6 millions de Juifs, soit un tiers des Juifs d’Europe et qui entraine aussi la mort d’entre 195 000 et 500 000 Tsiganes.

En 1944, Raphael Lemkin, juriste polonais théorise alors le concept de “génocide”, en mettant l’accent sur le caractère systématique, l’industrialisation et la planification du massacre de masse.

En France, il faudra attendre 50 ans pour que Paul Touvier, nazi français, responsable de la Milice de Lyon, en cavale pendant un demi siècle, devienne le premier français condamné pour crimes contre l’humanité en 1994. 

Mais l’avènement d'une justice internationale n’empêche pas l’horreur. 

À l’aube du XXIème siècle, si aucun génocide n’a encore été reconnu en tant que tel, les massacres au Darfour, contre les Rohingyas, les Ouïghours, se comptent en dizaines parfois en centaines de milliers de victimes. 

Combien faudra-t-il de morts pour prononcer le mot “génocide”, à l’heure où les guerres en Ukraine, et à Gaza, charrient au quotidien leurs lots d’horreurs ? 

Les génocides ne sont ni un problème de genre, ni un problème de couleur de peau, ni un problème de continent. C'est lié à l'être humain. 

ÉRIC EMERAUX, ancien chef de l’Office Central de Lutte contre les Crimes contre l’Humanité

 

LES GÉNOCIDES DU XXÈME SIÈCLELES GÉNOCIDES DU XXÈME SIÈCLE

1904 - 1908 : 

Le Deuxième Reich massacre les insurgés Héréros et Namas de Namibie, dans les premiers camps d’extermination, qui serviront de modèles pour construire ceux de la Solution finale. 

Bilan : 65 000 Héréros et 10 000 Namas y meurent.

1915-1916 :

Depuis Constantinople, le parti des « Jeunes-Turcs » organise à l’échelle locale, la déportation des Arméniens pour contrer leur révolte. 

Bilan : Entre 1,2 million et 1,5 million de morts

1939-1945 :

Longtemps oubliés, les Tsiganes sont démographiquement la seconde population européenne victime d'une extermination raciale, après les Juifs d’Europe. 

Bilan : Entre 195 800 et 500 000 morts

La dimension industrielle de la Shoah est sans précédent dans l’Histoire de l’humanité. 

Bilan : 6 millions, soit deux tiers des Juifs d’Europe y meurent.

1944  : 

Raphael Lemkin, juriste polonais, invente le terme « génocide » qu’il définit comme : 

Toute entreprise d’extermination systématique, méthodique et planifiée d’un groupe d’êtres humains.

1948 : 

L’ONU adopte une convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, afin de :

Libérer l’humanité d’un fléau aussi odieux.

1975-1979 :  

Au Cambodge, les Khmers rouges, mouvement nationaliste et communiste radical, déportent dans des camps de concentration à ciel ouvert les Vietnamiens et les Musulmans du Cambodge.

Bilan : Entre 1,5 et 2 million de morts

1990 :

Plusieurs heures durant, dans une église luthérienne, au Libéria, deux minorités ethniques, Mano et Gio, soupçonnées de soutenir les forces rebelles, sont massacrées à huit clos, par les troupes du président Samuel Doe.

Bilan : 600 morts 

1994 :  

Au Rwanda, le gouvernement Hutu massacre la minorité Tutsis pendant 100 jours, après l’attentat contre l’avion de son président Habyarimana, encore aujourd’hui non élucidé. 

Bilan : 1 million de Tutsis rwandais sont assassinés.

Juillet 1995 :

Les forces serbes opèrent le nettoyage ethnique des musulmans de Bosnie. Dans la région de Srebrenica, 8000 bosniaques sont massacrés en un mois. 

Bilan : 33 000 morts

Il y a 30 ans, le Génocide au Rwanda,

tue un million de Tutsis.

En 100 Jours.

BOSNIE 1992 - LE MASSACRE DE VISEGRADBOSNIE 1992 - LE MASSACRE DE VISEGRAD

De par son histoire intime, chaque témoin raconte un pan de notre Histoire de 1940 à aujourd’hui. Ces récits initiatiques d’une dizaine de minutes sont des armes de transmission et des ressources pédagogiques à destination des élèves, des étudiants, des professeurs et de tous ceux qui ont soif de savoir.

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La Lettre des Témoins

Par Les Temps Qui Courent

Celui qui écoute un témoin le devient à son tour.

— ÉLIE WIESEL

Nous lançons un appel à tous ceux qui pensent que les dérives communautaires de notre Temps ne font que renforcer nos divisions, à tous ceux qui croient encore en un idéal universel. Nous sommes persuadés que l’ignorance est la source de nos conflits, et qu’il faut absolument la combattre. Et nous croyons au savoir par le témoignage. Car la parole des témoins est un puissant vecteur de transmission et nous permet de nous ouvrir à l’Autre, et ainsi créer un espace de dialogue. 

Ici pas de commentateurs, de spécialistes, ni d’éditorialistes en tout genre, mais la parole véridique des témoins de l’histoire contemporaine. Intime, humaniste, le témoignage suscite l’émotion de celui qui l’écoute, qui devient à son tour un passeur de mémoire. Ce dialogue est une forme de thérapie collective, qui forge notre vivre-ensemble.

Je suis souvent affligée par les injonctions d’un monde manichéen où il y a les bons et les mauvais, un monde où l’on cloue au pilori, un monde qui me met parfois mal à l’aise. Il faudrait absolument choisir un camp, sans savoir, sans contexte. Je m’insurge contre cette idée, et je crois que je suis loin d’être la seule, que la majorité est restée silencieuse, craignant les coups de gueule de ceux qui ne savent que gueuler. 

J’ai fondé Les Temps Qui Courent, pour redonner la parole aux témoins de notre temps et pour que chacun d’entre nous puisse se forger son opinion avec son libre-arbitre et développer son esprit-critique.

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Margaux Chouraqui.

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