Cécile Desprairies a grandi dans une famille nostalgique de l'Occupation. Révoltée, elle est devenue historienne. Une vocation, et une quête de vérité à laquelle l'autrice a dédié sa vie. Dans La propagandiste sorti en 2023, Cécile Desprairies dresse le portrait d'une mère mariée en premières noces à un eugéniste alsacien, un "vrai pro nazi ... qui savait tout", et devenue dans le Paris de l'Occupation la Leni Riefehstal de l’affiche nazie en France. Il y a aussi l’oncle esthète vivant de spoliations et un autre journaliste à “Paris-Soir”, le plus grand tirage nazi de l'époque. Un roman inspiré par le milieu dans lequel elle grandit dans le Paris des Trente Glorieuses. Pendant une quinzaine d'années, Cécile Desprairies a interrogé les témoins de cette époque, méticuleusement cherché aux Archives nationales les preuves qui validaient ses intuitions. Elle confesse :
Ce que je découvre est pire que ce que je pensais
...Et raconte qu'elle contracte alors une gangrène gazeuse aux conséquences mortelles.
Qui est Cécile Desprairies ?
Née en 1957, Cécile Desprairies grandit dans une famille de “collabos”. Éditrice pendant 15 ans, elle devient historienne spécialiste de l’Occupation pour faire la lumière sur cet héritage inavouable.
Ses recherches ont d’abord porté sur les lieux de l’Occupation (Sous-l’Oeil de l’Occupant, la France vue par l’Allemagne, 2010). Puis sur l’influence de Vichy, dans notre société actuelle (L’Héritage de Vichy, Ces 100 mesures toujours en vigueur, 2012) avant de s’attaquer à l’histoire de sa “parentèle” dans La propagandiste, publié en 2023.
À plus de 60 ans, Cécile Desprairies entame l’écriture de son premier roman, largement autobiographique, qui révèle l’histoire collaborationniste de sa famille.
C’est le récit d’une fervente collaborationniste, sa mère, nommée Lucie dans le roman, qui réalise des affiches de propagande nazie, en français. Mariée à un étudiant pro-nazi à 19 ans, elle devient veuve à 24 ans.
Surnommée la “Leni Riefenstahl des images”, elle restera jusqu’à sa mort, partisane de l’idéologie nazie.
Évoquant le milieu collaborationniste, dans lequel elle a grandi, l’historienne revient aussi sur de certains membres de sa famille.
Un journaliste à la tête de “Paris Soir”, le plus grand tirage collaborationniste, ainsi qu’un esthète qui a tiré profit de nombreuses spoliations, dont des immeubles, jamais restitués.
Cécile Desprairies reconnaît que c’est cette histoire familiale qui l’a menée à sa carrière d’historienne, guidée par l’adage de Spinoza :
Ni haïr, ni louer, ni détester, mais comprendre.
La propagande nazie en France
En 1936, sort Les Dieux du Stade, film documentaire de propagande de la réalisatrice phare d’Hitler : Leni Riefenstahl. Tourné à l’occasion des Jeux Olympiques de Berlin en 1936, il met en scène une valeur fondamentale du nazisme : la pureté des races et la supériorité de la race aryenne. Propagandiste brillante, Leni Riefenstahl ne sera pourtant jamais condamnée pour avoir dépeint Hitler comme un Dieu, ou pour avoir utilisé des déportés comme esclaves et figurants dans ses films.
Affiche du film, Les dieux du stade de Leni Riefenstahl
Comment la propagande nazie a-t’elle réussi à manipuler et à persuader les Allemands du bien fondé de son idéologie ?
La propagande apparait comme la condition première à un système totalitaire et à la mise au pas de l’Allemagne, dès la parution de Mein Kampf en 1925, le Fuhrer théorise que :
Les grandes masses sont aveugles et stupides. (…) La seule chose qui soit stable, c’est l’émotion et la haine.
Une propagande qui formate et façonne des nazis, en leur faisant fantasmer un monde parfait, peuplé de familles ariennes à qui tout réussi grâce à l’éradication des Juifs, mais aussi dans un second temps des handicapés, des gays, des lesbiennes, des communistes et des races dites “impures”. Car selon Hitler :
L’art de tous les grands chefs populaires a toujours consisté à concentrer l’attention des masses sur un seul ennemi.
Une arme qui va justifier l’injustifiable. Pour mener ce projet, Joseph Goebbels, écrivain frustré, est nommé à la tête de différents organes de propagande qui jouissent d’un budget quasiment illimité. Goebbels, n’a alors qu’un seul objectif que :
Le national-socialisme devienne un jour la religion d’Etat des Allemands.
Tous les moyens sont bons pour soumettre la pensée. Lors d’autodafés, les nazis brûlent en place publique des livres par milliers. Hitler, lui-même peintre raté, crée le terme “art dégénéré” qui s’oppose a un art aryen, classique et pur. Verlaine, Mallarmé, Oscar Wilde ou encore Kandinsky et Otto Dix sont alors éradiqués, au profit d’artistes tels que Carl Orff, Richard Strauss, ou Walter Gropius, fondateur du Bauhaus.
Goebbles visitant l'exposition "L'art dégénéré" en 1937. À gauche, deux œuvres d'Emil Nolde, et à droite une sculpture de Gerhard Marcks.
Les artistes européens sont appelés à séjourner à Berlin. Les journaux sont invités à collaborer, sous peine d’être censurés. Le parti s’arme d’une presse de propagande, dont le journal “Signal” en 1940 qui est traduit et diffusé dans une vingtaine de pays, jusqu’aux États-Unis.
Une propagande totale, dont est biberonnée l’Allemagne dans un premier temps puis l’Europe, et qui s’appuie sur toutes les disciplines : sportives, artistiques, culturelles, scientifiques ou encore biologiques, en éradiquant celles qui ne s’intègrent pas dans l’idéologie nazie.
Un idéal qui persiste encore aujourd’hui, à travers l’héritage de familles collaborationnistes, grâce à de nouveaux groupuscules néo-nazis, et à travers les discours racistes et populistes de l’extrême droite.
Alors, combien sont-ils aujourd’hui en France, pourtant berceau de la résistance, à adhérer à une idéologie vieille d’un siècle, qui a massacré plus 2,6 % de la population mondiale au XXe siècle ?
Chronologie de l'Occupation en France
1940 : La France occupée
14 juin : Les troupes allemandes marchent sur Paris.
16 juin : Pétain devient le chef du gouvernement français. Une ligne de démarcation divise désormais la France en deux : zone libre et zone occupée.
22 juin : La France de Pétain capitule. Hitler exige que l'armistice soit signé au même endroit que celui de 1918, dans le wagon de Rethondes.
18 juin : Appel du Général De Gaulle, depuis Londres.
1 er Juillet : Le gouvernement s’installe à Vichy, en zone libre.
1940 : Les débuts de la collaboration
7 aout : Trois départements de l’Est (Haut Rhin, Bas Rhin, Moselle) sont annexés par l’Allemagne Nazie.
3 octobre : Première loi du gouvernement de Vichy, sur le “statut des Juifs”, raciale et antisémite.
1940 : La propagande nazie en France
18 juillet 1940 : Création de la “Propaganda-Abteilung Frankreich”, le département de la propagande nazie en France.
“Paris soir”, le plus grand tirage est réquisitionné par les allemands.
“Signal”, le journal de propagande nazie parait. Il est traduit dans 25 langues différentes et se démarque par la qualité exceptionnelle de ses photos.
1941 :
29 mars : Le Commissariat général aux Questions juives est créé.
2 juin : Le deuxième “Statut des Juifs” est adopté permettant la déportation des Juifs
20 août 1941 : ouverture du camp d’internement de Drancy.
Septembre 1941 : Inauguration de l’exposition “Le Juif et la France”, à Paris. Une exposition “scientifique”, s’appuyant du les travaux d’anthropologie raciale de George Montandon.
1942 :
27 mars : Départ du premier convoi de “déportés raciaux” de Drancy, vers Auschwitz. Le camp de Drancy, en Ile-de-France, devient la plaque tournante de la déportation des Juifs de France.
5 avril : Installation officielle de la Gestapo en zone occupée.
29 mai : Porter l’étoile jaune, devient obligatoire en zone occupée.
1943 :
13 janvier : Hitler déclare la “Guerre totale”.
30 janvier : Création de la “Milice”, une organisation politique et paramilitaire, crée par Vichy, elle est le bras armé de la Wehrmacht en France, comptant jusqu’à 35 000 français.
1944 : La libération de la France
6 juin : Débarquement de Normandie.
25 aout : Libération de Paris.
18 aout : Fin du gouvernement de Vichy.
De par son histoire intime, chaque témoin raconte un pan de notre Histoire de 1940 à aujourd’hui. Ces récits initiatiques d’une dizaine de minutes sont des armes de transmission et des ressources pédagogiques à destination des élèves, des étudiants, des professeurs et de tous ceux qui ont soif de savoir.
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